J’ai peu le temps d’écrire en ce moment et je ne suis pas au meilleur de ma forme… En général c’est quand je commence à me sentir un peu mieux, qu’enfin les mots arrivent jusqu’au bout de mes doigts et sur mon clavier.
Parfois j’ai l’impression comme on dit vulgairement de « pisser dans un violon troué ». J’ai tellement écrit sur le handicap mental, sur l’X Fragile, sur les aberrations de notre système, nos 20 ans de retard par rapport aux pays anglo saxons outre atlantique, sur l’intolérance et le rejet de la société, que par moments je me dis : A quoi bon ? Je me demande à quoi ça sert car je vois que passé 20 ans, les parents d’enfants handicapés mentaux (autistes, X Fragile, Trisomiques et j’en passe) galèrent toujours autant : administratif, prise en charge, accueil adapté, places dans les IME, rééducation, corps enseignant spécialisé pas formé, psychologie à deux balles …
ça ne change pas. C’est toujours aussi exaspérant, toujours aussi épuisant, toujours aussi révoltant.
Mais non je tiens bon, je continuerai de me joindre au côté de mes parents, au coté des familles, je persisterai moi aussi, quitte à descendre dans la rue, quitte à aller camper devant l’Elysée, quitte à m’épuiser à en crever, quitte à faire de la prison s’il le faut. Je ne vois pas pourquoi mon frère et tous les autres enfants et adultes comme lui n’auraient pas le droit à une vie digne et adaptée.
Hugo a 20 ans. Il est X Fragile en mutation complète. Il est diagnostiqué désormais dans la catégorie moyen à sévère parce qu’il ne sait pas s’essuyer tout seul aux toilettes. Et puis Hugo, comme tout X Fragile a des problèmes de concentration. Au bout de 5 minutes il décroche. C’est comme ça.
Hugo n’a jamais pris un seul médicament pour son cerveau. C’est un choix. C’est un choix qu’on assume tous parce que son X Fragile ne partira pas. La thérapie génique qui effacerait la maladie n’existera pas de son vivant a priori. Enfin on peut toujours rêver mais la thérapie génique a encore un long chemin a parcourir.
Donc Hugo a une maladie génétique très proche de l’autisme dans son expression mais c’est pas non plus complètement de l’autisme. Mais on retrouve toujours l’évitement, l’hyper anxiété, le besoin de rituels, la répétition, l’écholalie… ça fait des années maintenant. On est habitué. Tu vas où Yiayia répété 20 fois en 15 minutes. Tu fais quoi Yiayia ? On mange quoi demain ? Demain étant ce midi, ce soir, l’espace temps de Hugo c’est pas comme le nôtre.
Mais c’est notre Hugo. C’est mon Hugo. Mon frère que j’aime de toutes mes tripes, de tout mon coeur. Il sera toujours une priorité pour moi. Hors de question qu’il soit malheureux.
Et donc Hugo a bien sur du intégrer le circuit des handicapés mentaux en France lui aussi… On a beau être une famille folklo et pas standard il y a une solidarité familiale qui dépasse tout. On peut se déchirer entre nous ça nous regarde mais dans l’adversité on se serre tous les coudes. ça doit être ça l’esprit tribal. Un truc assez animal et instinctif dans ma famille.
On veut bien faire de la psychologie, moi la première mais à un moment donné il faut savoir faire confiance à son instinct et à la nature.
Et donc Hugo doit désormais avoir un « projet de vie d’adulte ». ça me fait toujours bien marrer ce vocabulaire qu’ils emploient dans les IME… Et puis voilà quoi. Au bout de 12 ans passés dans l’IME, Hugo doit débarrasser le plancher parce qu’il n’y a plus assez de place. Alors la direction fait tout pour qu’Hugo s’en aille. Mais voilà. Il y a une loi qui existe : la loi CRETON qui dit que si on ne trouve pas de projet de vie adapté à Hugo, ils doivent le garder une année supplémentaire.
C’est là que les choses vont se corser… Hugo est en externat. Il a besoin de sa maison, de sa famille, de rentrer chez lui. Alors déjà, trouver des établissements pour adultes handicapés mentaux c’est la croix et la bannière mais en plus en externat, en plus pas trop loin du domicile, en plus adaptés, alors là, il faut se lever de bonne heure… Mon frère est à Saint Germain en Laye en IME. On lui a proposé un établissement à Sartrouville. Ok. Il faut bien être ouvert et s’adapter alors Hugo a fait un mois d’adaptation. Seulement voilà. L’établissement proposé est glauque à mourir. Du personnel pas vraiment formé, des personnes profondément handicapées, bien plus que Hugo,… bonjour l’ambiance et l’angoisse. ça sent l’hopital… et là on se prend les dirigeants qui essaient de vous baigner de leur psychologie de comptoir pour vous convaincre… Forcément, l’établissement est neuf (ce qui en soi est une bonne nouvelle) mais voilà. c’est pas pour Hugo en fait. Déjà que c’est dur pour Hugo de quitter un endroit qui a fait son bonheur pendant 12 ans (bien que moi j’ai un avis très mitigé sur son IME j’y reviendrai), c’est juste insupportable de se dire qu’on l’envoie dans un parc où on entrepose des personnes déficientes qui attendent de manger, prendre leurs médicaments et avoir de vagues occupations…
Sans oublier les 2h de taxi quotidiennes…
Mais je crois que ce qui me hérisse le plus et me mets hors de moi c’est le bilan que les « professionnels » de son IME actuel ont fait de lui. La preuve par l’exemple. La preuve irréfutable qu’ils n’y connaissent RIEN à l’X Fragile, qu’ils ont une vision, image de mon frère soit totalement malhonnête, soit déformée par leur totale ignorance… je préférerai presque la deuxième option.
Moi mon frère je le connais, je sais comment il fonctionne. Il est simple Hugo. Il aime ou il aime pas. Quand on sait le prendre, quand on sait passer le temps qu’il faut il est capable de faire des tonnes de choses. Et il aime faire plein d’activités Hugo. Il faut juste le connaître, connaître sa maladie, accepter ses limites, RESPECTER ses goûts et ses envies. Un peu comme un être humain « normal » en fait !
Mais ça doit les dépasser d’être aussi simple dans ce milieu de psy et fonctionnaires.
Alors oui je suis en colère. Et encore je mesure ma colère dans mon blog car j’ai une révolte en moi qui pourrait être d’une violence nucléaire.
J’en ai assez de lire autant de conneries, d’entendre autant d’inepties. La vérité c’est que soit il n’y a pas assez de moyens pour les handicapés mentaux, soit le budget est géré par des bras cassés et super mal géré. La vérité c’est qu’il n’y a pas de professionnels correctement formé de la simple aide ménagère à la direction. Alors on vous balance de la psychologie de comptoir, des grandes phrases, on vous parle de bien être, de thérapies par les massages alors que ce qu’il faudrait c’est de la vraie psychomotricité intensive, de l’orthophonie à gogo, des activités manuelles réelles avec le temps nécessaire, le personnel formé adéquat …
Alors si Madame Carlotti et tous les députés qui traitent du sujet lisent mon blog, je veux bien vous rencontrer – promis je resterai calme et polie – et je veux bien les emmener faire une tournée des IME et centres pour adultes, je veux bien les faire rencontrer des familles de vrais gens, qui se battent depuis des années pour faire valoir leurs droits, le droit à une vie digne de leurs enfants petits et grands.
Alors ok c’est la crise, ok la misère dans le monde et tout le reste; On sait tout ça et ça nous bouleverse aussi… vraiment. Mais ce n’est pas une raison pour laisser mon frère Hugo de côté, lui et tous ceux comme lui, qu’ils soient X Fragile, Trisomiques ou autistes.
Moi je parle au nom de tous les handicapés mentaux. Il faut une amélioration globale significative qui implique des soins spécifiques et adaptés à chaque maladie et à chaque personne. Ce sont des personnes. Ce sont des êtres humains. Pas des sacrifiés. Je ne l’accepterai jamais. Jamais.
Aussi longtemps que je vivrai je me battrai pour le droit à une vie digne pour ces formidables personnes car souvent, toujours, ce sont des empêcheurs de devenir cons. Ils sont beaucoup plus vrais que nous tous. On a beaucoup à apprendre d’eux. Je vous le dis.
Comme dit la chanson de Passenger, Life’s for the Living